Article de presse

le 11/12/2019 à 18h45

La Libre Belgique – Tasiaux City

REPORTAGE

C’est clair: cette fois, on se rapproche du Chevauchoir, à Lesves. Les crépitements dans la radio, branchée sur 105.5, se font plus discrets. On entend plus nettement les paroles d’une chanson en wallon accompagnée à l’accordéon, puis un très disco «Dancing on a saturday night». A Clo-Clo qui pleurniche «Il m’arrive souvent d’être heureux» succède un mielleux chanteur de charme qui susurre «Toi petite, prends ma main». Kitsch mais sympa, pour un samedi matin ensoleillé dans la campagne namuroise.

La pancarte rouillée, le long de la longue route droite entre les champs, confirme: c’est ici. «Radio ChevauchoIr– Le troisième week-end de juin, la famille Tasiaux utilise le verso du panneau qui annonce la grande kermesse du Chevauchoir. En mars, elle organise le Grand feu et le carnaval. En décembre, saint Nicolas reçoit les enfants dans son studio. Ces activités font vivre, avec un peu de pub et d’innombrables dédicaces, la radio familiale «Chevauchoir FM».

 

Celle de Simone et Marcel Tasiaux (aujourd’hui décédé), qui s’installent en 1951 au lieu-dit du Chevauchoir pour y monter un garage. Il y a 19 ans, le paternel fonde Radio Chevauchoir Le studio est successivement installé dans un bureau, une baraque sur le parking, la salle de bain après l’incendie de cette «caravane», et le bâtiment en dur dont les enseignes Jupiler et Ciney rappellent qu’on ne fait pas qu’y travailler.

«Normalement, le samedi matin, on a l’émission «V comme voyance» – les gens appellent pour savoir si un malade va guérir, s’ils vont réussir leurs examens, etc. – mais le voyante est absent aujourd’hui, donc on a mis le robot qui passe les CD»

Explique Lysiane, directrice des programmes. Toute la famille, beaux-enfants compris, est mobilisée pour les fêtes

Un «blanc» de deux secondes et l’âme des Platters envahit la pièce avec leur langoureux «On… ly youououou». Le mur du petit studio des animateurs est tapissé de cartes postales dédicacées rappelant le passage (sur les ondes et souvent dans ces murs) des stars locales, des chouchous des auditeurs de Radio Chevauchoir: Frank Michael, Jean-claude Lahaye, Pierre Milan, Henri Golan, Robert Frédéric, André Loppe, Michel Pruvot, Armony, Loretta, Manuella, Marisa, et caetera. Des 45 et 33 tours suspendus à des fils de nylon tournent en rond, dans le studio technique. Dans le studio des interviews, des fleurs artificielles posées à côté du micro, sur une nappe à carreaux, accueille les visiteurs. Et, partout, sur les murs, les étagères et les appuis de fenêtre, des dizaines de chevaux: en porcelaine nacrée, en peluche, en poster…

Dans le prolongement direct des studios vitrés, un bar et des tables accueillent le dimanche les «accros» de l’apéritif musette animé par Lysiane, ou du thé dansant. C’est là que les fidèles auditeurs deviennent spectateurs, le temps d’un concert en direct.

Lysiane détaille la programmation hebdomadaire: Lucy anime «les romantiques»,t «Chantez dansez» où les auditeurs chantent en direct,  et «Les 3×20 ans et plus», Simone «Coup de chapeau» (accordéon chanté) et «Wallon a vos moujo», Lysiane «Disques demandés», son mari Rocky une émission sur les PME de la région etc. Quelques émissions d’info pratique ponctuent la grille-horaire qui s’étale de 8 à 22 h. «On a essayé de varier le programme. Mais c’est l’accordéon qui garde le plus de succès», selon Lysiane. La radio locale y consacre des émissions.

«ON FAIT CE QUE LES AUTRES NE FONT PAS»

 

«Il n’y avait pas de média pour l’accordéon. On a décidé de faire la promotion de jeunes. On essaie toujours de faire ce que les autres ne font pas, puis quand ils voient que ça marche, ils copient!». D’autres exemples?«Au lieu de faire l’élection de Miss Chevauchoir, on a fait l’élection de Super Mamy. Pfff… Nostalgie a repris l’idée. On a donc abandonné». «Regardez: on a glissé quelques clays blanches parmi les rouges. Quand on tire une blanche, on gagne une bière. Et bien, personne n’y avait pensé avant nous!»

Au fait,mme l’indique le panneau annonçant l’événement: «Ici, c’est style kermesse. Ce n’est pas un concours. On ne gagne que des bières. Tout le monde peut venir, même les amateurs. Pas question de faire le malin, de critiquer ceux qui sont moins doués. On se veut professionnel mais très proche du public». Tout est là. «Quand on fait notre grande fête, en juin, on barre la route dans les deux sens, il y a un chapiteau. Il y en a pour tous les goûts» : la messe «parce que les personnes âgées aiment ça», la «pléiade d’artistes» confirmés ou débutants, qui passent en direct sur Radio Chevauchoir, mais aussi un bal musette, une brocante, un apéritif -musette aussi -, un dîner boulettes-sauce tomate… «Le Flamand Jean Martens, les gens l’aiment  Ce claviériste qui accompagne les chanteurs «a un style, vous savez, flamand… C’est un peu «carnaval». Et on fait ça sans répétition. C’est ça, la chaleur!»,

UNE CHOPE OU UN CAFÉ SOUS LA TENTE

Dans le champ, les tireurs commencent à affluer. Des «pull!», «waïe» et «ah!» brefs fusent régulièrement, signaux destinés à actionner la machine à ressort qui crache les cibles d’argile. Entre deux séries de tirs, on sirote un café ou une chope sous la tente. Une pancarte posée au pied d’un arbre prévient: «Toute personne en état d’ébriété sera interdite de tirer et exclue du champ de tir»…

Michel est intarissable. Il balaie le paysage. Là, le pylône de 50 mètres, «on l’a monté nous-même». Là, sa maison, là les serres… Un village en soi. «Tasiaux city! », se marre un de ses copains, «on devrait proposer ça au bourgmestre!». «On instaurerait un péage«On habite trop près l’un de l’autre dans la famille », poursuit-il. «Dès qu’il y a un problème,

Même Benoît Mariage, qui a tourné un «Strip-tease» sur la famille et fait apparaître Radio Chevauchoir dans son film «Les convoyeurs attendent» «fait partie de la famille. Et on connaît bien Benoît Poelvoorde; il vient parfois boire un verre. Il n’empêche: «Strip-tease, on ne le referait plus. Ils ont passé une semaine ici de 7h à minuit, à 20 de la RTBF, et dans les 13 minutes d’émission, tout ce que vous voyez, c’est tout ce qui a été raté, tout ce qui ne marchait pas!». «Fâché? Non… mais très déçu».

 

SIMONE AUX COMMANDES

«Moi, j’ai bien aimé les films de Benoît Mariage. On voyait mon mari traire la vache, et tout ça…»

Explique la maman, Simone, 68 ans, qu’un petit sourire ne quitte pas. C’est elle qui accueille les auditeurs le matin, et elle qui leur dit bonne nuit. «J’aime la radio. On est en contact avec les gens, ils vous appellent souvent». Le dimanche, ils sont là pour l’apéro musette. «Ils viennent de Temploux, de Gembloux… avec leur bouteille, et on danse».

Le Chevauchoir, c’est toute sa vie, comme dirait l’autre. «Tous mes enfants sont nés ici. Et c’est ici qu’ils ont connu leur mari ou leur femme» qui était animateur ou venait aux thés dansants… «Mon mari était ferme avec eux quand ils étaient petits. Quand ils rentraient de l’école, c’était: souper, lavés, devoirs et… radio: ils avaient chacun leur jour et leur heure».

Simone aux commandes

La «mater» Tasiaux veille au grain sur les animateurs. «J’y tiens: si j’ai une réprimande à faire à l’un d’eux, je note cela dans son carnet. Comme ça, l’un ne sait pas ce que l’autre a fait. Il n’y a pas de dispute, pas de moquerie. Une fois par an, je les invite tous à un grand dîner et ils reçoivent du vin ou des pralines». Simone a des principes: tout le monde peut faire un test pour devenir animateur, mais il faut, condition  un certificat de bonne vie et moeurs…

Elle s’écarte un instant. La porte du studio radio-cafétéria vient de s’ouvrir. «Ah, ça fait longtemps, comment allez-vous? Vous prendrez bien un petit verre…».

 

«SIX MOIS POUR S’ADAPTER À LA FAMILLE»

On l’aura compris, les Tasiaux forment un véritable clan. On n’y entre pas n’importe comment.

«C’est dur d’être accepté ........a fallu six mois pour m’adapter. C’est un mode de vie très rude. Ils ont l’habitude de crier ce qu’ils pensent à table. Quand on touche à un des frères, on a tous les autres sur le dos… Mais une fois acceptée, vous faites vraiment partie de la famille : «Ici, tout le monde doit travailler aux activités de la famille». ,  «Les beaux-enfants doivent être de caractère dur pour ne pas être dominé s», «Mais ils ont le coeur sur la main, «On ne regrette pas. Quand on se retrouve ensemble, c’est tellement gai». Et ce ne sont pas les occasions qui manquent. Deux jours plus tôt, ils ont encore passé une journée tous ensemble à Bellewaerde.

Au micro…

Il est 15 heures. Dans le studio, Michael Garbe, instituteur de formation, éteint le «robot à CD» et prend son micro. Sur sa feuille de route, la liste des dédicaces à réaliser. Les auditeurs ont demandé: «Valses de Vienne», Henri Golan, «accordéon», Patrick Sébastien, La Paloma, André Rieu, Julio Iglesias…

Sur une table traîne le petit livre qui retrace l’histoire de la famille. Entre deux chapitres, une phrase remplit une page: «La radio souvent imitée, jamais égalée».

© La Libre Belgique 2001

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